6/6/13

A lire sur le Point.fr, article paru le 4 juin MuCEM, splendeur méditerranéenne

De notre envoyée spéciale à Marseille, Brigitte Hernandez
Le premier trésor du Musée des civilisations de l'Europe et de la Méditerranée, c'est le bâtiment lui-même, pensé, conçu, réussi par Rudy Ricciotti, "l'archi provençal" comme il se définit, provoc' et sans limites. On a déjà tout dit et tout montré sur la résille de béton qui embrasse le béton lifté de très haute qualité de ce cube noir. Mais il faut le répéter, car le miracle se vit désormais à l'intérieur, sur les coursives qui font du bouche-à-bouche avec la mer, ces grands poteaux plantés dans le sol et ces filins comme des haubans qui instillent dans l'esprit du visiteur la sensation de visiter un navire.

Ce musée aurait dû se nommer "Grand large", tant la profondeur des vues est immense, dès qu'on en franchit le seuil. Et il est à voir de nuit, absolument - les passerelles permettent de le regarder bien en face de l'extérieur -, car un autre MuCEM prend alors vie grâce aux milliers de leds que l'artiste Yann Kersalé a nichées sur la façade en se "laissant guider par l'idée d'un parcours géopoétique (pour) faire vivre l'heure bleue, là où tout bascule".

La galerie de la Méditerranée

Le premier et bel espace permanent - "du moins pour trois ans", ainsi que le précise Zeev Gourarier, conservateur du patrimoine et directeur des collections du MuCEM - réunit les témoignages de notre évolution dans le berceau méditerranéen. Grâce à une scénographie en terrasses, à l'image des restanques agricoles, les visiteurs commencent la visite avec le pingouin qui témoigne qu'il y a dix millions d'années le bassin était... froid. Le parcours est didactique. "Nous avons voulu offrir ici une vision en plusieurs temps : l'invention des agricultures concomitante avec l'apparition des dieux. Puis Jérusalem, la ville trois fois sainte. Ensuite, nous abordons la citoyenneté, les droits de l'homme, les cités libres."

De fait, la promenade, qui se veut instructive, se révèle bien décevante. Les grands écrans censés résumer le sens de chaque étape livrent des images banales, les objets provenant des collections du MuCEM semblent perdus dans un assemblage sans grande direction.

Le fort Saint-Jean

Sur le toit-terrasse qui a lui seul vaut une visite (restaurant, ombre et vues stupéfiantes), la belle passerelle noire nous conduit du bâtiment principal, "le J4", au fort Saint-Jean, défense construite par Vauban sur l'ordre de Louis XIV qui a ainsi coupé et menacé Marseille en pointant les canons du fort... sur la ville. "Ici, dit l'architecte Roland Carta, le siècle classique de Louis XIV voisine avec l'église du XIIe. J'ai vraiment insisté pour qu'on relie par une passerelle (identique à celle qui relie le J4 au fort) la ville et le fort. Rudy Ricciotti a accepté, et finalement, le maire aussi."
Constitué des merveilles du musée des Arts populaires, le musée du fort Saint-Jean abrite les exposions permanentes et séduit d'emblée, alors que toutes les salles ne sont pas terminées. Gloire soit rendue à Zette Casadas, la muséographe, qui a su dégager une réelle évidence à l'exposition Le temps des loisirs. "Un fort contraint à une muséographie éclatée, explique-t-elle. Je me suis attachée à des installations autonomes. La chapelle avec ses 11 mètres de hauteur et son peu de profondeur, je l'ai imaginée comme un retable contemporain. En fait, il faut comprendre tous ces espaces comme des cabinets de curiosités : des curioseadas, inventées à l'échelle de chaque lieu."
Surplombant l'esplanade, une sculpture en résine de quatre visages féminins saluant l'est, l'ouest, le nord et le sud (et figurant l'oeil et l'esprit ouverts à tout) cache un castelet, théâtre miniature dans un théâtre surprenant et qui s'ouvrira aux marionnettistes.

Les expositions temporaires

La plus aboutie des expos temporaires est sans conteste Le noir et le bleu, un rêve méditerranéen, couleurs célébrant la face obscure de l'homme telle que Goya la révéla dans ses peintures noires et l'éclat aveuglant de la mer et du ciel. Thierry Fabre, le commissaire de l'exposition, ouvre l'espace avec un immense Miro et les petits formats des gravures de Goya. Et l'on suit les ondulations du bassin méditerranéen en peintures d'abord avec les grandes toiles de Joseph Vernet. Viennent les conquêtes, la Grèce mère antique, les villes, les échanges, les massacres... Chaque proposition s'inscrit dans un espace bien déterminé et toujours ouvert de façon à ce que le visiteur puisse sans gêne y entrer et en sortir pour voir ce qu'il y a en face.

Les documents filmés (Pathé) sont formidables et la photographie occupe une grande part de l'exposition : la mafia par Franco Zecchin n'est pas bien loin des Grandes Vagues de Le Gray, le Beyrouth ravagé de Gabriele Basilico se voit, s'entend en écho aux clichés de 1943 de la destruction du Vieux-Port de Marseille ou à ceux magnifiques de Capa en Espagne ; les plages de Massimo Vitali, écrasées de lumière blanche, renvoient à la table-miroir de Michele Pistoletto réunissant tous les pays du bassin. Une exposition à la hauteur des lieux, sublime.

http://www.lepoint.fr/culture/mucem-splendeur-mediterraneenne-04-06-2013-1676143_3.php

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